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Les Bijoux de Constance
Les Bijoux de Constance
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14 mars 2009

Tristesse

  Il faudrait trouver un titre à la Hugo, Tristesse d'Olympio... Tristesse de Constance, cela ne sonne pas. Il faudrait que cela sonne, que cela clame, qu'en moi résonnent des tonnes de drame, des sommes, à "inonder la Somme. Arrêter d'inonder la Somme". "Avoir l'amour en bandoulière, l'amour, en bandoulière". Il le dit deux fois. Il le chantait deux fois. Toujours trouvé cette formule triste et intense, intensément dense et amoureuse, charnellement dense et amoureuse, intensément. Peut-être à cause de l'expression triviale, "avoir le mascara en bandoulière". Le signe de la possession charnelle. Sa signature. Le signe de l'autre en soi jusqu'à la soie des cils. Seules les femmes peuvent comprendre. Et parmi elles, celles qui aiment et aiment aimer. Aimer. Perdre. Aimer c'est toujours le risque de perdre. "Est-ce aimer... est-ce une escale/ en mer Egée/ est-ce un essaim d'abeilles/ au réveil..."
  Aujourd'hui, quatorze mars il me semble, mais jusqu'à ce soir j'ignorais cette date. C'était juste, dans ma tête, le premier week-end de la rentrée. Le type de repérage qui suffit, on n'en cherche pas la date, on troque une réalité contre un "prêt-à-servir". C'est aussi cela, vivre. Ne pas retenir une date parce qu'il y en a d'autres, après, insignifiantes d'ailleurs, le 16 mars convocation examen, le 17 mars... et pour le 14, juste avoir retenu le samedi pour un rendez-vous, un rendez-vous rouge Garance, un prénom à la couleur des Enfants du Paradis, une jolie compagnie. Oui, je parle juste de ma vie, là, c'était une journée Garance, du nom d'une couleur. Une journée mitigée, ne parlant pas tout à fait de printemps, mais en train de clore ce qui précédait. Comme à parler du futur ou à régler son compte à ce qui n'est plus. N'était-pas la pleine lune, d'ailleurs, ces temps-ci? Je n'en sais rien, mais il y avait de la lumière dans la nuit. "Des nuits sans voir le jour." Quelques nuits sans dormir, des nuits à prendre "des trains à travers la plaine". "Des petits trains de pensées grises", pour citer Francis Ponge, l'une de mes idoles. Mort le 6/8/88, Francis Ponge. Je l'ai appris le 8/8/88. Il paraît que la date de notre mort exprime quelque chose de profond de soi-même. Pour Francis Ponge, c'est évident. 14 mars 2009, est-ce donc une date qui lui ressemble, qui lui ressemblait ? "J'ai dans les bottes des montagnes de questions, Où subsiste encore ton écho..."
  Un petit train de pensées grises. "L'éminence qui grise", pour citer quelqu'un de mon quartier, Edmond Rostand. Il est mort aujourd'hui une forme d'éminence en ma vie. Une forme d'évidence. Une évidence éminemment rebelle. Qui résiste, qui oppose sa forme et son fond. "Un rebelle dans [nos] villes". Pas envie de faire un hommage, bien dérisoire venant d'une anonyme. Juste un petit train de mots en forme de cortège.
  Dans cette pièce grenier, cet atelier contemporain, où je loge, elles sont rares les chansons qu'il me soit arrivé de mettre dès le matin. Souvenir d'un avant-printemps - avant-printemps d'il y a combien, quatre ans?  Davantage peut-être. Dans ces matins où déjà la lumière est née, alors qu'il est sept heures. S'élèvent les notes, rondes, de la mélodie. "En moi gronde une ville. Grouille la foule dessaoulée. Ses envies au hachoir..." Chaque note égrène un grain de peau. L'ensemble, tous ces grains, "en moi s'agrippent des grappes de tyrans, Des archanges aux blanches canines". La partition musicale et la voix, un peu métallique, dense et retenue. Chaque écoute, un voyage. A chaque fin de la chanson, le besoin de la réécouter. "J'voudrais t'aimer comme un seul homme Arrêter d'inonder la Somme Avoir l'amour en bandoulière L'amour en bandoulière".
  Je me souviens que ce printemps-là j'aimais la chanson et j'aimais. Le coeur en bandoulière. Ce que j'entendais habitait le lieu où j'habitais, j'étais habitée par une chanson, j'habitais une chanson. Elle me collait au coeur et au corps. Je m'habillais dans le retentissement feutré des instruments et des sons, et ils épousaient les formes et les matières, ils se glissaient entre les vêtements et moi. Ils me parlaient "L'imprudence". Il me chantait "L'imprudence", ce disque très noir comme un vitrail de Soulages. Il avait accompagné quelques années auparavant ma séparation avec "Fantaisie militaire", le disque de la rupture, "L'amour tu l'as perdu Dans ce lit de bataille". J'avais appris que nous nous étions mariés la même année, et que les ruptures avaient eu lieu au même moment. J'écoutais ce disque en boucle, les écorchures, les déchirures, les boursouflures des plaies. La vie qui avançait. Puis qui a avancé, qui s'est débarrassée de ses scories. Il y a eu après les matins lumineux, lumière au noir de L'Imprudence, "Désormais je me dore à tes rires Je me dore à tes nerfs A la chaleur humaine...".
  Je n'ai pas encore "habité" son dernier disque. Cela viendra. Je l'ai fait de tous les précédents. Mais je l'ai écouté parler fin février sur France Inter, dans l'émission Sur la Route, durant quatre soirées. Bouleversante proximité, lui qui parlait peu, et qui ouvre la digue, simple, sincère. "Tu perds ton temps A te percer à jour Devant l'obstacle tu verras On se révèle". Il était clair comme une révélation. Ce qu'il a expliqué, limpide, sur les textes, à comprendre à dix pour cent, qui laissent la liberté de parcours, d'investissement, les modes de lecture, verticale, tangente, la part d'invention et de réinvention du texte qui se dérobe... Des voyages différents selon les émotions et les subjectivités mêlées.
  Et puis ce que j'ai entendu ce soir à la télévision, ces quelques phrases :"J'ai besoin de sacré, ça c'est sûr, c't-à-dire, on me dirait que plus rien n'est sacré, ça m'poserait de sacrés problèmes c'est sûr." Merveilleux texte celui-là aussi, qu'il ne chantera pas. Aujourd'hui, 14 mars 2009 est mort quelqu'un qui avançait vers la clarté, qui entrait de plus en plus dans l'émotion pure, qui frôlait le coeur. La chanson qui a habité un de mes printemps s'intitule Noir de Monde, elle n'est pas assez connue, elle mérite votre détour par Deezer ou Youtube. Il va y avoir des tartinées d'hommage à Alain Bashung. Moi j'ai juste envie que subsiste encore son écho...      

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Commentaires
C
encore un très beau message, merci Lydie... Madame rêve, Madeleine songe. "Ad libitum". Il est des êtres, rares, avec lesquels on est tout de suite personnel, comme tu l'es là, comme je l'ai été dans mon message. Ils doivent toucher les notes juste au-dedans de nous, et on ne peut pas rester à la périphérie pour parler d'eux, on est directement dans un bout de peau, un bout de coeur, un bout de nerf, un bout d'âme. Alain Bashung est un tel être. Il l'est toujours, et ça c'est merveilleux. Je te remercie vraiment.
L
Merci pour cet hommage, pour cet homme contre lequel je m'endormais les nuits sans lune, bercée, et me réveillais au matin comme un nouveau-né avec le bruissement de ses mots, le ressac de sa voi+ qui me donnaient à vivre et me donnent à vivre. Merci beaucoup pour tes sentiments, ces confidences.<br /> Lydie
C
très belle expression dorneuv, "noirceur clairvoyante", c'est exactement ça qu'est Bashung. Qu'il est toujours, parce que ce qu'il a créé est toujours là. Merci de ce beau message,
D
je partage aussi ta peine, une autre "âme plane" sa noirceur clairvoyante de poète nous manquera a tous..
C
Merci Perloosette. Je t'embrasse aussi,
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