Jour de pluie mais petit soleil en fin de journée
Mon peintre préféré est Pierre Bonnard. Je passerais des heures à regarder L'Enfant au seau. Une toile de lin brute, couleur lin non blanchi, très peu de peinture sur la toile, très peu de couleur, la forme étroite et haute d'un panneau de paravent. En fond, dans un petit bac d'orangerie, un petit arbre formé en boule. En premier plan, de dos, penché, vêtu d'une blouse à carreaux, un enfant. Il a l'air d'égrener l'air du temps. Il semble creuser à même la toile, infiniment, le fond de la toile qui devient du sable, par la seule grâce de son geste. Une toile pleine d'air et d'espace. Le grain de la toile comme métaphore du grain de sable, du grain de la peau, de la peau du monde.
Bonnard, le plus japonnard des Nabis. Il était surnommé ainsi. Il émane de ce tableau un équilibre infini, Bonnard nous offre de l'espace ainsi libéré. L'âme et la pensée ont toute la place, ou presque. Un enfant absorbé dans son geste, un arbre dans son pot au loin. L'angle de vue est comme basculé, en plongée, ce qu'on voit le plus, ainsi, c'est le grain du sable qu'on ne voit pas.
Il y a tous les autres Bonnard, le jaune Bonnard, les mimosas opulents à travers une fenêtre au Canet, la vibration jaune du soleil, la vibration des carreaux, ceux des fenêtres, ceux imprimés sur les nappes, ceux de la salle de bains, où Marthe est toujours nue juchée sur ses hauts talons.
Peut-être aimeriez-vous voir une image ? Vous la voyez là dans votre tête, c'est peut-être la plus belle. J'y penserai, promis, je continuerai le feuilletage de Bonnard. Ce soir, j'ai peu de temps, alors j'ai décidé de vous offrir seulement un peu de temps, un peu du temps qu'il a fait aujourd'hui.
Fort bien, vous direz-vous, ( car vous ne vous parlez qu'à vous-même, lecteur anonyme et muet, pas de commentaire aujourd'hui, petit coeur à moi triste comme un jour de pluie ), fort bien, c'est bonnard ( car vous êtes c'est dommage muet, mais et c'est tant mieux indulgent voire enthousiaste, bref un lecteur parfait, quoique votre langage soit un brin familier )... Fort bien, c'est bonnard donc, mais quel est donc le rapport avec Bonnard ? Et la photo là-haut, qu'est-ce qu'elle est censée faire là ? Et si c'était un grain de sable envolé par le geste de l'enfant qui enrayât la machine infernale de mon cocteau cerveau? Que non pas, pour cette fois.
C'est que j'ai vu cet été au Musée Cantini à Marseille une expo de dessins de Bonnard, de quoi passer quelques heures magiques auprès de croquis que je n'avais jamais vus, et découvrir d'autres facettes du peintre. Et tous les jours, Bonnard écrivait dans un carnet, il noircissait des sortes d'agendas de croquis, il écrivait des observations sur l'art pictural, très brèves, laconiques, lapidaires même. Et tous les jours, il écrivait le temps qu'il faisait. Nuageux, ciel gris. Soleil en fin de journée. Nuages et pluie... La date et le temps, le temps et le temps. Je ne regarde plus de la même façon L'enfant et le seau...
1o octobre 2007, pluie tout le matin et une partie de l'après-midi. Petit soleil en fin de journée. Je revenais d'un rendez-vous fort sympathique, à pied, par le tertre du palais ( heureusement que vous n'aurez pas l'odeur, l'urine la bière et autres, la saleté des endroits que la municipalité préfère ignorer, la moitié de la ville à peu près, vous pouvez juger de l'état des réverbères municipaux d'après la poétique décomposition de celui-ci ), je vous aurai offert ci-dessus les jeux du soleil à cinq heures ce soir...